Indicateur du 2 janvier 2012: une France « américaine » ?

1. La semaine coincée entre Noël et le jour de l’an n’a produit, comme prévu, aucun nouveau sondage. Mais, rassurons-nous, jusqu’au premier tour, ce « déficit » ne se reproduira plus. Le décor est donc en place pour l’affrontement, malgré les incertitudes pesant encore sur la capacité des petits candidats à obtenir les 500 signatures: cela semble plus difficile que prévu même pour le candidat du NPA et, plus étonnant encore étant donné la grogne actuelle des maires ruraux, celui de CPNT; cela paraît compromis pour Christine Boutin et moins positif qu’affiché pour Villepin, Chevènement et Arthaud; la quête de Corinne Lepage ne paraît pas entièrement sincère (cherche-t-elle surtout à garnir son portefeuille d’avocate ou à promouvoir ses livres, comme Sarah Palin aux Etats-Unis, entretenant faussement le suspense afin de conserver sa notoriété ?); Jacques Cheminade et Jean-Marc Governatori ne paraissent pas en mesure de créer la surprise; seul Nicolas Dupont-Aignan semble mieux placé qu’en 2007.

Sur sa lancée des semaines précédentes, François Bayrou est le seul gagnant de cette dernière semaine de 2011.

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Au second tour, le resserrement se poursuit très, très lentement. François Hollande conserve une avance confortable.

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2. La scène étant prête et le « show » des primaires américaines débutant aujourd’hui, c’est le moment de s’interroger sur l' »américanisation » de la politique française, en tous les cas de sa compétition présidentielle.

Plusieurs éléments structurels ont poussé à une certaine « américanisation » du système politique et électoral français :

– la Constitution de 1958 est présidentialiste, dans la mesure où majorités présidentielle et parlementaire sont en phase, notamment depuis la réforme de 1962 établissant l’élection au suffrage universel direct, consacrant la « rencontre d’un homme et d’un pays, d’un peuple »,

– le passage du septennat au quinquennat lors de la réforme constitutionnelle de 2000 et, de fait, la subordination des élections législatives à l’élection présidentielle a renforcé cette présidentialisation du régime,

– la personnalisation du monde politique, sous la pression médiatique, et, désormais, la frontière beaucoup plus poreuse entre vie privée et vie publique participent également de cette évolution ; si beaucoup nous avaient déjà habitués à montrer une partie de leur vie privée (Ségolène Royal filmée le lendemain d’un accouchement alors qu’elle était ministre, c’était il y a déjà près de 20 ans), si les couples politico-journalistiques (Kouchner-Ockrent, Strauss-Kahn-Sinclair, Baroin-Drucker, Montebourg-Pulvar, Borloo-Schönberg, Hollande-Trierweiler) sont nombreux, si la participation massive des politiques à ces talk-shows qui sont devenus l’école des Français et le symbole du fonctionnement actuel de l’esprit public (le mélange des genres, le nivellement et l’absence de hiérarchisation et de priorisation, le sarcasme, la « polémique », le zapping, l’appel aux réflexes, aux poncifs et aux clichés, l’absence de légitimité ou d’autorité avec la possibilité pour tous de parler de tout, l’imposition d’une vulgate libertaire et de « tolérance »), le feuilleton DSK a fait basculer la France dans un autre paradigme ; quelles que soient les rodomontades et les grandes leçons de morale, quels que soient le dégoût ou le trop-plein supposés des téléspectateurs, DSK a connu un record d’audience et l’aspect « téléréalité » a plu à une bonne partie de la population ou a au moins fasciné,

– de fait, les médias ont besoin d' »histoires » à raconter, comme celles des people, comme celles de la rubrique cinéma, comme celles des mercatos sportifs, des valses d’entraîneurs et des déroulements de tournois à suspense, comme celles des faits divers, comme celles des renversements de régimes dans le Tiers-Monde (prière toutefois de faire vite pour pouvoir passer à l’histoire suivante…), et les « histoires » ont besoin de personnages et de scénarios,

– la démocratie d’opinion, notamment au travers des sondages, imposant une vision de court terme, poussant à la démagogie et à la flatterie des humeurs passagères d’une opinion publique multiforme et largement définie par les médias et transformant le champ politique en flux permanent d’affrontements, de polémiques, de déclarations,

– le consumérisme touche la politique comme les autres domaines de la vie des Français: la perte de repères idéologiques et de valeurs et l’affaissement des structures intermédiaires et des partis politiques eux-mêmes (avec l’émergence d’organisations plus souples, voire floues, comme le MoDem ou EE-LV, plsu proches des partis républicain et démocrate américains) conduisent à une consommation politique faite de revirements, de participation aléatoire, d’indécision et de volatilité croissante jusqu’au jour de l’élection; ce consumérisme trouve mieux à s’appliquer dans un système personnifié à l’extrême.

3. Aujourd’hui, le déroulement même de l’élection prend des tours surprenamment « américains »:

les politiques testent d’abord l’idée de leur candidature, avant de se lancer réellement dans la candidature, un peu à la façon des exploratory committees montés par les candidats putatifs aux primaires démocrate et républicaine : Jean-Louis Borloo n’a pas procédé autrement,

– l’organisation de primaires en bonne et due forme (EE-LV, FN, PS, PCF-FG), y compris avec des débats télévisés, et un processus qui sera parachevé en 2017 avec la conversion de la droite à l’exercice, voire du centre et du centre-droit s’ils parviennent à se rassembler, est évidemment l’élément le plus emblématique,

– au cours même de ces primaires, la logique d’affrontement forcé mais qui doit rester contenu afin de ne pas trop « abîmer » le candidat et fournir l’adversaire en munitions a créé un dilemme pour le PS absolument identique à celui vécu en ce moment même par les Républicains aux Etats-Unis; d’un autre côté, l’aspect « tour de chauffe » pour les Valls et Montebourg, qui ont gagné en notoriété par rapport aux Moscovici, Hamon, Peillon, est également le fruit de primaires américanisées,

– même si la vice-présidence n’existe pas en France, il est clair que l’attitude de Montebourg dans l’entre-deux-tours, cherchant à faire monter les enchères, rappelle le comportement de candidats aux primaires américaines se maintenant pour tenter de décrocher une place de candidate vice-président sur le « ticket » présidentiel, avec des logiques de complémentarité politique (de ce point de vue, Montebourg, aujourd’hui, « couvre » utilement la gauche de Hollande) voire géographique,

– la nécessité d’éviter des dissidences (pas sirares que cela aux Etats-Unis parès des primaires difficiles, au cours desquelles un candidat n’a pas « trouvé sa place ») se retrouve dans l’attitude extrêmement rigide de Sarkozy à l’égard des Borloo, Morin, Villepin, Boutin; cela s’explique d’ailleurs par l’absence de primaire à droite, qui aurait pu rassembler au moins une partie de ces candidatures qui veulent à tout prix s’exprimer mais tentent de le faire lors de l’élection proprement dite,

– les notions de « dynamique » (momentum),
d' »écart » (spread, gap, margin) entre candidats devenu plus important que les chiffres bruts eux-mêmes,
de différence à un chiffre ou deux chiffres (cf. la problématique de l’écart entre Aubry et Hollande au premier tour: one-digit lead or double-digit lead?),
de chiffres franchissant une dizaine supplémentaire (et créant ainsi un effet psychologique à l’égal de l’affichage des prix dans les grandes surfaces),
d’anticipations de résultats confirmées ou non, plus importantes que les chiffres bruts des résultats eux-mêmes (Montebour déclaré vainqueur du premier tour avec seulement 17%),
d’électeurs extérieurs plus indépendants venant troubler le jeu et les pronostics d’une primaire ouverte,
sont tout à fait similaire à ce que vivent les Etats-Unis depuis bien longtemps,

– les notions de plus en plus prévalentes de « caractère » et de « personnalité« ,
l’importance du « story-telling« , des « comebacks » (comme celui de l’apparatchik inconsistant Hollande),
les accusations de changements de positions (flip-flopping),
viennent directement d’outre-Atlantique,

– la construction de campagnes électorales au travers d’une succession d’événements artificiels créés par les états-majors,
la segmentation des problématiques, des discours et des propositions en fonction de publics visés (l’Outre-Mer, les agriculteurs, la défense, l’immigration, l’éducation, la santé,…),
les passages obligés, les formes de communication et d’action et la ritualisation des « moments » de la campagne (une « lettre », un livre, des « twits »; des meetings, des marchés, des salons, une plongée dans la nature, des usines, des fermes, des émissions face aux Français, des grandes conférences de presse sérieuses, des visites à l’étranger; des moments d’émotion, des moments de « vérité » personnelle et familiale, des moments faussement décontractés ou casual, des occasions de belles photos ou photo opportunities),
découlent d’une approche marketing que Nicolas Sarkozy fut le premier à réellement appliquer à grande échelle et de manière très professionnelle et réussie en 2007, fascinant même des journalistes a priori hostiles; de ce point de vue, Hollande peut s’inquiéter: il est quasiment critiqué par des médias plutôt favorables, parce qu’il ne les a pas « nourris » pendant deux mois et que son « plan com et RP » ne paraissait pas ficelé…. montrant ainsi la nouvelle exigence des médias de campagnes formatées, même si elles doivent quand même « surprendre »; l’engouement, depuis hier, pour les moindres faits et gestes de Hollande (pourtant contradictoires en termes de signaux envoyés sur les dates et le contenu, annoncés ou non, prévus ou non, fixées ou non, on ne sait plus et son équipe ne sait plus elle-même…), illustre l’attente incroyable du monde médiatique.

4. Bien sûr, le processus est loin d’être abouti et, quoi qu’il en soit, le système institutionnel français n’est pas le système américain :
– le Parlement reste peu puissant face au Président, alors même qu’il dispose désormais de beaucoup de pouvoirs, le problème résidant davantage dans la volonté de les exercer que dans la nécessité de réformer encore la Constitution,
– une cohabitation reste possible ; si le PS avait continué dans sa tradition de divisions exacerbées et d’échecs cinglants à la présidentielle, la réélection par défaut de Nicolas Sarkozy en 2012 ne lui garantirait nullement une majorité législative,
– la France n’est désormais qu’un petit pays, ayant perdu une partie de sa souveraineté, ce qui réduit l’importance de sa présidence.

Mais il est probable que l' »américanisation » va se poursuivre, ce qui n’est pas pour rassurer.

Les attaques personnelles, la question de la vie privée, les publicités « comparatives » et « négatives » vont se multiplier, nourries notamment par les « affaires », vraies ou fausses d’ailleurs (malheureusement, cela importe peu dans le flot médiatique quotidien…), ainsi que la manipulation de la sphère politique par tous les intérêts corporatistes et personnels possibles.

La radicalisation des tendances, contraints de mobiliser d’abord leurs militants et leur électorat, et les plus « convaincus » en premier lieu, est une autre conséquence à redouter de cette évolution.

5. Pour terminer sur une note plus légère, la création même de cet indicateur agrégé des sondages n’est-elle pas une micro-conséquence de plus… mais ô combien divertissante !

Reste enfin à savoir si Nicolas Sarkozy s’appliquera une pratique bien américaine qui veut qu’un président sortant battu se retire de la vie politique… rien n’est moins sûr et ce sera l’objet d’un autre article sur l’avenir de la droite française.

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